Departures : la Mort et le Japon
« Departures » est un film de Yojiro Takita, traitant du dernier voyage de notre vie, parfois le seul, celui de la mort. Nous y suivons l’aventure du musicien Daigo, nouvellement embauché dans les pompes funèbres japonaises, à travers ce métier mal considéré au pays du Soleil-Levant.

Voici un film que je devais voir depuis bien longtemps déjà, mais comme pour tout, il est un temps pour chaque chose. Avant, je l’aurai certainement apprécié, mais je n’en aurai pas saisi toute la profondeur, ni les relations que Daigo a avec sa femme, son patron, sa famille, son passé. Tout cela serait passé comme une normalité et je n’aurai retenu que son aventure funéraire. Si la vie ne vous a pas encore giflée quelques paires de fois, il se peut que vous n’en retiriez que la curiosité de la tradition mortuaire Japonaise, mais ce sera ma foi déjà beaucoup.
Pour ma part, j’ai visionné ce film dans un moment particulier de ma vie. Tout un royaume en ruine laisse s’envoler ses cendres derrière moi, une sorte de mort, et c’est là que « Departures » fait résonner le sacré dans ces moments de deuil quels qu’ils soient, où l’on se dit qu’il n’est plus de purification nécessaire, ni même d’hommage à rendre. Mais non. Ce que l’on apprend dans ce film, c’est l’importance de l’hommage, du geste, du silence. C’est insister sur la beauté et la fraîcheur quand plus rien ne l’est, sur la purification et le mouvement même si plus rien ne se meut. Au Japon, les corps sont systématiquement incinérés, dû à la forte densité démographique nippone. On pourrait donc se dire que comme tout va au feu, pourquoi tant de peine et de cérémoniel puisqu’il n’en restera rien ? Et bien c’est là où toute la dimension sacré éclate de lumière : on offre à la froideur de la mort, la chaleur de ce que fut la vie. Les flammes ne feront pas que supprimer un corps, elles emporteront dans l’ether la splendeur du souvenir d’une vie, qui à jamais flottera dans l’air, pure et sublimée.

Prendre le temps. D’honorer, de prier, de purifier, de sacrer, avant de se tourner de nouveau vers la lumière qui tel un soleil, se tient sur l’horizon de notre chemin. Qui continuera la route avec nous dans l’incertitude de la vie ? Qu’allons continuer d’aimer ? Qui apprendrons-nous à pardonner ? Et tant, tant de questions qui se posent après ce visionnage, où la mort est abordée dans tous les domaines : physique, mental, sentimental, social…
Dans ce film, ce qui fait mal au coeur lorsque l’on est Occidentaux, c’est cette vision qu’on les Japonais des employés des pompes funèbres. Pour ce peuple aux conceptions sociales et religieuses particulières, thanatopracteur est un métier peu honorable. Si on le choisi, on peut tout perdre de ses relations, et si l’on en avait pas, on restera sûrement dans la solitude. Considéré comme impur, et parfois comme un profiteur se faisant de l’argent sur le dos des morts, ce professionnel était ignoré, voire méprisé, en tout cas avant ce film dit « miraculeux » par son réalisateur.
En effet, Yojiro Takita avait dit au micro du journal Le Monde qu’il aura fallut treize mois après la fin du tournage, pour que les distributeurs veuillent bien s’y intéresser, mais ce n’est qu’après un oscar que « Departures » a révolutionné ce métier. Pour preuves, il y a aujourd’hui des visites touristiques organisées dans la petite ville de campagne où se tenaient les tournages ! D’ailleurs, cela a fait naître bien des vocations puisque beaucoup de jeunes sont désormais désireux de faire ce métier. Entre 2008, année de sortie du film, et 2025, date de ce billet de blog, les réseaux et médias ont totalement dédramatisés l’approche du métier de thanatopracteur. Il faut dire qu’il y a également une approche vénale, car les funérailles Japonaises sont les plus coûteuses au monde. Comptez environ 25.000 euros là-bas contre 4000 euros en France.

En regardant ce film, je me suis souvenu d’un livre que j’avais lu et qui s’intitulait « Fleur de neige » de Lisa See. L’intrigue se passe en Chine, à l’époque des pieds bandés. On y apprend que les bouchers étaient très mal considérés, à l’instar des thanatopracteurs Japonais, et je me souviens en avoir été très étonnée. Mais il existe bien des métiers honteux à pratiquer dans ce pays, comme en Corée et au Japon, certains se rejoignant, d’autres différents selon la culture du pays ou de ses régions. Avec le temps, l’ère d’Internet, la nouvelle génération, les traditions qui s’enterrent, ces discriminations sont de moins en moins présentes. Toutefois, c’est également de cela que parle ce film qui porte une pureté incroyable, notamment dans ce « coup du destin » qui est joué au héros. Il se rêvait violoncelliste à la réputation internationale, et le voici agent de funérailles… lui qui pensait ne trouver qu’un simple travail d’agent de voyage ! Et oui, même l’annonce se devait d’être déguisée !

Car il s’agit bien d’un voyage, vers l’au-delà, et c’est là toute une cérémonie. Le corps est préparé devant les proches qui ont préalablement dressé un petit autel d’offrandes pour le défunt. Les employés funéraires arrivent et se mettent à l’oeuvre. Le corps repose sur une fine couche blanche, sous un drap bleu et blanc. Un carré de tissu blanc est posé sur le visage. Avec respect, patience et savoir-faire, ils vont laver, coiffer, maquiller et habiller le défunt, tout cela sans que l’on ne voit quoi que ce soit, selon des procédés de manipulations lentes et astucieuses. La couche blanche possède des anses afin de pouvoir la soulever, permettant ainsi au cercueil de bois d’accueillir sans fracas le mort, fin prêt pour la cérémonie de crémation.
Le YouTubeur TEV- Ici Japon a fait une vidéo sur le sujet de la mort au Japon. Si vous désirez en savoir encore un peu plus, voir des images et des vidéos à ce sujet, nul doute que vous la trouviez très intéressante.
Tout ce rituel est nécessaire pour les Japonais, car peu importe leur confession religieuse, ils croient que si le défunt n’est pas correctement honoré, il le verra d’où il est et se vengera en apportant le malheur sur la famille. On le voit d’ailleurs très bien dans le film, car il y a parfois des dissensions, un manque total d’amour pour la personne décédée, mais il faut que ce soit fait, et bien fait, parce qu’on ne veut pas s’attirer les foudres du disparu.

Ce qui m’a énormément touchée dans « Departures » c’est la relation qu’entretien Daigo avec son patron et sa secrétaire. Si d’abord l’ambiance est froide, très vite une complicité va s’installer et même un sentiment de filiation, comme s’il s’agissait d’une entreprise familiale. Le jeune professionnel va tout apprendre d’un « vieux de la veille » si je puis dire, dont les gestes ne sont pas guidés par des horaires de travail et le salaire qui en découle, mais bien par une passion de vouloir offrir un service humain et sacré, faisant toute la différence avec d’autres agents funéraires que l’on peut notamment voir à la fin du film.

Toute la symbolique de ce film est très forte. Daigo n’a pas assité aux funérailles de sa mère qui fut trompée par un père qu’il déteste tout le long du film, pourtant la mort lui apporte de la réflexion à ce sujet, qu’il pourra manifester dans la vie, pour lui, sa femme, ceux qu’il apprécie. C’est toute une dimension sociale que l’être intérieur du héros va expérimenter, entre rapprochement et rejet, soutien et influence, tout cela grâce à son métier certes atypique mais proche du divin.

Si j’ai l’air de vous dire que Daigo adore son métier dès le départ, ce n’est pas le cas. Au début, c’est une véritable catastrophe, mais il faut bien manger, payer les factures, alors il va cacher cela à sa femme… La purification et la recherche de la pureté dans la vie palpitante joue de concert avec l’horreur de la putréfaction, l’impuissance face à la rigidité cadavérique. Le rythme est d’ailleurs assez lent pour que l’on puisse savourer, s’écoeurer et s’émerveiller tout à la fois, réfléchir, comprendre. Il n’y a pas de grande intrigue, c’est un film contemplatif, qui parle à notre âme, et laissera sa trace quoi qu’il arrive.

Et la musique… Ah ! la musique ! Sublime… Un bijou de Joe Hisaishi. Beaucoup de violoncelle, bien sûr, et pour mon plus grand plaisir, mais également de très belles orchestrations, conçues pour porter ce projet filmographique comme il se doit. La sonorité y est donc une sorte de « clé » qui permettra au spectateur attentif de finir totalement sous le charme du scénario. Ce qui m’a énormément plu, c’est que Daigo n’avait plus les moyens de posséder un violoncelle d’orchestre, alors il va retrouver son violoncelle d’enfant et ne jouer que de celui-ci. Peu importe la taille et la beauté de l’instrument, ce qu’il en extrait est tout ce qui l’a constitué jadis et tout ce qu’il en est devenu. C’est un homme qui joue sur un instrument d’enfant, c’est un instrument d’apprentissage qui offre la musique de l’homme accompli. Superbe image.

Je vous laisse sur ce partage, et le titre « thème de ce film »Okuribito » qui me laissera encore un instant au sommet de ma vague méditative, souhaitant que chacune de vos secondes puisse compter comme précieuses. Personnellement, je ne sais comment je terminerai cette incarnation, mais quand je compare la façon de faire du Japon et celle de nos européennes contrées, je dois bien avouer que je vais déplorer le fait de ne pas expérimenter une telle cérémonie !
