Un vocal, des vocaux
Voici des mois, si ce n’est des années, que cette façon de communiquer provoque en moi un énième sentiment de décalage avec ce que propose notre société.
Pour les personnes qui ne savent pas de quoi je parle (que bénie soit votre innocence), un vocal (ou audio) est comme un message répondeur, sauf que celui-ci peut durer plus d’une minute, et généralement, il en fait trois, cinq, quinze, trente si ce n’est plus ! On peut passer par des applications dédiées comme la populaire Whats’App, mais les messageries internes aux applications proposent aussi cette option, comme Instagram ou Facebook Messenger.

Avance rapide
Les développeurs ont rendu cela très facile à faire, car il n’y a qu’à bloquer l’icône « micro » pour avoir les mains libres et enregistrer son message. Si sur certaines applications l’on ne peut pas aller plus loin que cinq minutes avant de pouvoir en créer un autre, ailleurs il est possible d’aller jusqu’à une heure. Une heure d’un message vocal. Une heure où un esprit déverse ses pensées, son quotidien, ses interprétations et mille suppositions, sa critique de film, sa façon d’être. L’égo parle, le receveur fatigue, et là encore les développeurs ont ajoutés une option : avance rapide.
Il ne s’agit pas d’avancer en occultant une partie du message (même si cela reste possible), mais de sélectionner une vitesse de lecture, entre « x1 » et « x2 ». Un message vocal de dix minutes peut être réduit à cinq minutes, et la voix de notre egolocuteur (car ici n’existe point l’interlocuteur) s’accélère d’une telle façon qu’elle en perd tout son caractère. Il est même parfois difficile de revenir à la vitesse réelle tant on a l’impression que la voix se traîne, donnant à notre correspondant des allures dépressives.
Selon moi, c’est tout sauf sain. Imaginez-vous en terrasse, avec votre ami, et pouvoir appuyer sur un bouton « accélérer » ? Ou le mettre en « mute » pour avoir l’image sans le son. « Pause », peut-être ? Mais surtout, être en terrasse, l’écouter sans pouvoir rebondir, répondre, partager le fou-rire… voir et ne rien pouvoir faire. Etre un fantôme qui, à son tour, pourra laisser son message, qui sera peut-être écouté, peut-être même accéléré.
Une étude sur les messages vocaux
Il y a peu, internet m’a mis sous les yeux une étude assez intéressante sur le sujet, qui pointait du doigt mon sentiment d’inconfort. Si, techniquement, le message vocal autre que le répondeur lié aux appels est apparu en 2013, ce n’est qu’en 2018 que j’ai reçu mon premier audio. Je me souviens avoir été surprise, agréablement, car la personne qui m’avait contacté avait un rire communicatif et me parlait comme si elle était en face de moi. J’ai donc répondu, un peu timide, comme sur mes premières vidéos, et puis cela devient une habitude et finalement on envahit autant qu’on se laisse envahir. Du grain à moudre pour mon moulin à questions existentielles !
Selon cette étude, qui s’accorde avec des statistiques que j’avais consulté ça et là auparavant, c’est plus de 80% des français qui utilisent WhatsApp, une moyenne de presque quatre messages vocaux reçu par jour, et la moitié des utilisateurs qui pensent que cette fonction n’est pas pratique à écouter dans certains environnements. En brassant les villes et les sexes, les résultats sont les mêmes, mais lorsqu’il s’agit des générations, l’on voit que les jeunes préfèrent ce moyen de communication face aux anciens.
Ce qui est terrible c’est que pour beaucoup, ils disent trop en recevoir, mais continuent d’en envoyer, pris dans une énième spirale. Ecouter un message demande de l’attention (et votre attention vaut de l’or pour les créateurs de ces applications), hors donc pendant que l’on consomme des vocaux sans vraiment le vouloir, on nourrit tout un business derrière, l’esprit happé par des voix que l’on entend mais qui bien souvent ne disent rien. Et c’est d’ailleurs là que j’éprouve un malaise profond. Sur 1500 personnes consultées, 28% expriment le fait que l’expéditeur semble privilégier leur commodité au détriment de la leur. J’en fais parti. Combien d’audios n’ai-je pas reçu « parce que c’est plus simple », « je mange seule aujourd’hui, tu m’accompagnes », « j’ai un long trajet en voiture, comme ça je ne somnole pas », etc. ? Et l’amitié initiale se transforme en une sorte de zombification de la relation. Ca fait froid dans le dos.
Dans les dix cas de scénarios proposés durant l’étude, il est analysé que « dans tous les cas, la réponse la plus fréquente reste qu’il est préférable de rédiger le message par écrit. » Encore une fois, on utilise le message vocal parce que quelqu’un à commencé et qu’une balle se renvoi à chaque réponse. C’est dit, l’humain préfère encore le confort de l’écriture. Il faut donc briser la chaîne : mais comment cela sera-t-il prit par l’autre ? La peur du jugement arrive, celle de l’abandon derrière, se retirer de l’audio c’est perdre le lien, comme avec les réseaux sociaux auparavant…
Personnellement, je l’ai fait. J’ai dit stop, et bien entendu il y a un immense gouffre qui s’est creusé. Mais c’est un tri naturel, nécessaire, pour ne pas dire vital. Et au bout du compte, ça ne change pas grand chose, car si la voix était présente, le coeur n’y était plus.
Pour finir sur cette étude, si l’utilisation du vocal se fait surtout par feignantise pour se subir ensuite, elle sert inconsciemment à la gestion émotionnelle : combler un vide toujours plus grand.
Contrer l’angoisse par l’expression
Etre le récepteur de la pensée d’autrui, tout en conscientisant que ce vocal n’avait véritablement pas d’autre but que de soulager son interlocuteur, est une expérience désagréable. La solitude, qu’elle soit passagère ou habituelle est, tout comme l’ennui, une porte vers la déprime. Si certaines personnes aiment cela ou savent le gérer, d’autres ont trouvées dans le message vocal la possibilité de parler, et donc de s’exprimer, pour agrémenter la morosité, évacuer l’angoisse ou empêcher l’anxiété d’hurler trop fort.
Si cela fait du bien à cette catégorie de personnes, le destinataire du message va prendre de son temps pour écouter, et parfois va devoir le faire en accéleré, dans un lieu propice, peut-être aussi pour combler un trajet de voiture, un repas à préparer, une session de repassage… La charge mentale de devoir répondre appuie sur les priorités et, à force, on ne sait plus ce qui est vraiment important, on peut même en négliger ses enfants, son travail, sa passion. On écoute sans pouvoir répondre sur le vif, oubliant la moitié des choses à la fin du message. La réponse en est dénaturée et l’aide apportée (si elle était demandée) souvent à côté de la plaque parce qu’il nous manquait un détail, que ça n’a pas été correctement raconté, et la sensation d’avoir été utile se transforme en temps perdu et l’impression d’inutilité.
J’ai lu récemment que le contraire de dépression n’est pas joie mais expression. Pour se sentir mieux, il faut exprimer. Mais là aussi, il est beaucoup plus commode d’enclencher la fonction audio, de raconter un peu sa vie, que de s’exprimer dans une création quelle qu’elle puisse être. De la cuisine à l’art, en passant par le bricolage et la danse, la qualité d’expression permettra de passer les tempêtes d’angoisses et les déserts d’ennui, en allant toujours vers un mieux être. On trouve une nourriture dans la solitude, même dans les transports. Le message vocal d’une demie heure retire la contemplation, l’observation, l’inspiration, et offre au destinataire une énergie de piètre qualité qu’il traitera finalement comme tel. On se gâche la vie à tour de rôle.
Transcrire : écrire sans le faire
Il y a une chose qui est arrivé avant les messages vocaux, c’est la dictée. Dans les SMS ou les e-mails, sur le smartphone, il y a un petit micro qui permet de dictée ce que l’on a à dire pour que cela écrive à notre place. Ca donne des messages la plupart du temps sans ponctuation, en forme de pavé, et dont la lecture reste laborieuse. Dans ma vie professionnelle, j’ai reçu beaucoup de ces messages avant les audios, et je dois bien avouer que j’ai autant saigné des yeux que perdu pas mal de vocabulaire…
Mais désormais, c’est l’intelligence artificielle qui transcrit. Et elle fait ça bien, en ajoutant de la ponctuation et des retours à la ligne. Ainsi, en cliquant sur « transcrire », tout l’audio de notre émetteur s’écrit sous nos yeux. Pratique dans des lieux où l’on ne peut pas écouter, pratique aussi pour lire en diagonale, pour aller encore plus vite qu’une écoute accélérée ! Ah ! La technologie !
Bien entendu, pour pouvoir avoir accès à cette fonctionnalité, vous devez accepter que le contenu de l’audio soit utilisé par l’Intelligence Artificielle. Un autre débat !
Back to basics : le sens et le ciel
J’aime beaucoup cette expression anglaise qui signifie littéralement « revenir à l’essentiel ». Et pour moi, en communication, l’essentiel, c’est l’écriture. Ca n’étonnera personne ! Je déteste le téléphone. Je voudrais dire que je n’aime pas ça mais c’est un fait, j’ai cet outil en horreur. Déjà petite, je ne répondais pas au téléphone lorsque j’étais seule à la maison. Ma mère m’appelait depuis son travail pour savoir si tout allait bien, je n’avais que 8 ans après tout. Et moi, je ne répondais pas, lui causant une inquiétude monstre. Je vivais la sonnerie comme une terrible intrusion dans mon univers et je me refusais à décrocher ce combiné. Finalement, nous avons convenu qu’elle appellerait à midi. Alors seulement, je décrochais.
Rien à changé aujourd’hui : je ne décroche pas. Si c’est urgent, on laissera un message et je rappellerai. Les personnes qui me connaissent le savent : m’écrire est la solution la plus adaptée. Toutefois, je ne suis pas comme Amélie Nothomb, à n’accepter que la correspondance écrite jusqu’à m’en décrocher le bras. Même si je privilégie la lettre, l’e-mail ma va bien. Le SMS passe tout juste.
Avec le temps, oui, on revient à l’essentiel. On réduit la voilure de la communication, on sélectionne les outils, on restreint le cercle des correspondants… Parce qu’après tout, au-delà de l’entreprise, mise à part le bulletin météorologique avec le voisin, communiquer c’est une affaire de confidences. C’est un parent, un ami, un amour. C’est parler de soi parce que l’autre veut nous recevoir en lui, c’est l’accueillir en retour parce que l’envie est sincère.
Si le vocal se présente, faire simple, concis. Autrement, revenir à la communication essentielle. Le mot juste, nécessaire, quand il doit s’envoler. Et laisser au loin le bruit des messageries qui martèle les esprits, pour enfin vivre dans la quiétude d’une communication choisie, non plus subie.
Un outil comme les autres
Halte à l’extrémisme ! Si je ne me retrouve pas dans cette option vocale, le message audio n’est pas à condamner pour autant, l’expérience m’ayant confirmé que tout extrême est néfaste. Il y a des avantages et des inconvénients à toutes choses. Je dirai simplement que la fonction vocale reste un outil parmi tant d’autres, et qu’elle doit conserver cette unique fonction. En faire un moyen de communication majoritaire déforme nos échanges en appauvrissant nos relations.
Ici, j’entends Musset murmurer à mon oreille le début de ce vers : « Se voir le plus possible ». Se voir, oui, ou au pire, s’appeler. Sinon, s’écrire, pour se concentrer sur le sens et le ciel, retrouver la beauté et le sacré de l’écriture, et faire d’une pensée un lien graphique pour nous deviner.
BONUS
Et puisque nous en parlons et que ce poème me reste en tête comme un vers d’oreille, voici le sonnet d’Alfred de Musset « Se voir le plus possible… », qui fut au passage, l’un de mes premiers émois poétiques. A sa relecture, j’en saisi la clé qui m’avait été donné alors, dans cette insupportable adolescence. J’aurais fait tout le contraire.
Se voir le plus possible et s’aimer seulement,
« Se voir le plus possible… » Alfred de Musset
Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge,
Sans qu’un désir nous trompe, ou qu’un remords nous ronge,
Vivre à deux et donner son coeur à tout moment ;
Respecter sa pensée aussi loin qu’on y plonge,
Faire de son amour un jour au lieu d’un songe,
Et dans cette clarté respirer librement –
Ainsi respirait Laure et chantait son amant.
Vous dont chaque pas touche à la grâce suprême,
Cest vous, la tête en fleurs, qu’on croirait sans souci,
C’est vous qui me disiez qu’il faut aimer ainsi.
Et c’est moi, vieil enfant du doute et du blasphème,
Qui vous écoute, et pense, et vous réponds ceci :
Oui, l’on vit autrement, mais c’est ainsi qu’on aime.